Le travail peut-il être source de plaisir ?

 « L'homme n'est pas fait pour travailler, la preuve c'est que cela le fatigue » affirme Voltaire. Nombreux sont ceux dont l'opinion rejoint celle du philosophe des Lumières. Les hommes se plaignent sans arrêt de la quantité de travail qui leur est déléguée, il fait partie de notre quotidien. Issu du mot latin tripalium, désignant un instrument de torture utilisé par les Romains, le travail semble être synonyme d'asservissement, de corvée. Pour les Grecs, le travail est l'activité humaine la plus proche de l'animalité dévolue aux esclaves. Mais de manière générale, le but du travail est la transformation de la nature dans un sens utile à l'homme. En travaillant, l'homme produit des besoins nécessaires à la vie, ou se garantit la satisfaction à ses besoins. L'homme devient alors « Homo economicus » ou « Homo faber », celui qui produit des biens et des services. Le travail peut apparaître comme source de peine, aliénation et souffrance physique. Toutefois, la société a de nos jours tendance à valoriser le travail, qui aurait l'avantage d'apporter du plaisir. Le plaisir indique une satisfaction physique ou morale, qu'elle soit éprouvée en présence de la beauté, dans la vie affective, après satisfaction d'un besoin ou d'un désir. Ce caractère ambivalent du travail est à l'origine de nombreuses controverses que font prospérer penseurs et hommes politiques. Ainsi, le travail n'apporte-t-il que peine, aliénation et souffrance physique ou peut-il être source de plaisir ?
Dans un premier temps, montrons que le travail engendre peine, aliénation et souffrance physique. En effet, la souffrance physique est inévitable dans le travail manuel. Cette forme de souffrance vient de l'extérieur, elle est causée directement par le travail. Ressentie dans les métiers de la maçonnerie, l'agriculture ou même la boulangerie, elle accable les hommes. Le travail nécessitant un effort, il conduit à l'épuisement et parfois à la douleur. « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » dit la Genèse, impératif au châtiment du péché originel. Cet extrait évoque la souffrance physique liée au travail comme une malédiction héréditaire. Dans la religion chrétienne, elle remonte au péché originel, et serait donc commune aux hommes de tous les temps. Le corps est donc condamné à souffrir en travaillant. Ensuite, le travail cause de la peine. L'homme peut éprouver de l'humiliation, sentiment dû à l'accomplissement d'un travail qu'il juge indigne de lui. Il peut de même ressentir du dégoût ou du chagrin à travailler au lieu de se reposer ou s'adonner à des activités distrayantes. Le travail est une cause indirecte de cette forme de souffrance, qui provient de l'intérieur. De même, la désillusion au travail est source de peine : lorsqu'un individu a rassemblé toutes ses forces pour exercer une activité, mais est contraint de se vouer à un travail qui lui est pénible, il peut ressentir du regret. Ainsi, le travail est déclencheur de souffrance morale. Enfin, le travail aliène les hommes. Ce processus a lieu lorsque l'homme ne se reconnaît pas dans ce qu'il fait. Le travail à la chaîne par exemple, dé-subjective l'humain. L'effort qu'il fournit ne dépend plus de la conscience d'un ouvrier, elle concerne seulement son patron. Karl Marx parle de la « dépossession du travail ». Puisque le travail n'appartient plus à celui qui l'accomplit, et que celui-ci se « sacrifie » étant contraint à travailler, et donc ne s'appartient plus à lui-même. De cette manière, l'effort peut aliéner les hommes. Toutefois, le travail se distingue de la corvée. Des individus affirment aimer leur travail. Peut-il procurer du plaisir aux hommes ?
Dans un second temps étudions le travail comme source de plaisir. Tout d'abord, travailler dans la poursuite d'un objectif est agréable. La progression vers un résultat rend le travail plaisant. Les bénévoles prennent plaisir à apporter des aides humanitaires car leur but est de soulager le sort des autres. Un homme d'affaire peut aimer son métier car il est rentable : il lui rapporte de l'argent, tout comme un salarié peut se plaire à travailler en échange d'un bon revenu. L'étudiant, lui, est en quête d'un avenir florissant. Il peut avoir du goût à étudier dans le but d'accomplir ses projets. Le romancier Paulo Coelho écrit est convaincu que « les rêves donnent du travail ». N'est-ce pas un plaisir de travailler pour concrétiser ses rêves ? La réalisation d'une richesse, planifiée et longtemps menée à bien apporte une vive satisfaction, comme par exemple dans les métiers de l'artisanat. Le défi et les fruits du travail sont donc source de plaisir. De plus, le travail joue un grand rôle dans l'accomplissement de soi. L'homme qui se reconnaît dans son travail éprouve de l'intérêt à se perfectionner. Il accomplit les tâches avec plaisir, plus encore s'il se passionne pour son travail. S'il s'agit d'une activité libre et créative, on peut parler d’épanouissement. « Choisissez un travail que vous aimez et vous n'aurez pas à travailler un seul jour de votre vie » explique le philosophe chinois Conficius. Le terme travail n'est donc plus approprié à une activité, même difficile, si elle est une passion. Le travail peut satisfaire la curiosité ou le désir de savoir, en cela il est un plaisir. Certains individus considèrent que le sens de leur vie est dans leur travail. Celui-ci leur est si cher qu'ils n'accepteraient pas d'en être privés, et il est difficile d'imaginer qu'il ne soit pas source de plaisir. Ainsi, le travail comme passion de l'individu est source de plaisir. Puis, le travail est un plaisir dans le sens où il rassemble les hommes en société. Chacun obtient un statut social lié à son métier, impliquant le désir de se procurer un travail. Les hommes sont réunis, ils coopèrent et agissent les uns avec les autres. Le travail offre ainsi à chaque homme un « collègue », il favorise les relations sociales et amicales. En cela, c'est un plaisir de se rendre à son lieu de travail, de travailler avec des individus avec lesquels on peut échanger et passer agréablement son temps. L'aspect social du travail le rend donc agréable. Bien que le travail puisse être source de plaisir, il fait indéniablement l'objet de nombreux reproches. Ainsi, pourrait-on envisager un monde sans travail ?
Pour finir, nous nous demanderons si un monde sans travail est souhaitable. En effet, l'idée d'une vie sans travail est attrayante. Si les contraintes liées au travail n'existaient pas, les hommes pourraient se consacrer à l'art ou profiter de loisirs. Chacun a rêvé à un moment de sa vie de se libérer de son travail, et de profiter de longues vacances pour réaliser des projets extérieurs ou se reposer tout simplement. Chez les Grecs, une partie de la population était libérée du travail et dans l'idéal, le temps libre servait à l’exercice de la raison, en philosophie, comme en science. Les hommes s'occupaient de cultiver la vertu, s'intéressaient à la politique. L'oisiveté peut-être considéré comme un acte de résistance à la valorisation du travail. « L'homme qui travaille perd un temps précieux. » souligne le romancier espagnol Miguel de Cervantes. Ensuite, le travail est tout de même indispensable à l'homme. Mais ce débat n'est-il pas déjà obsolète ? Alors qu'on se demande si le travail nous rend heureux ou nous détruit, d'autres dans la Silicon Valley inventent un monde informatisé, mécanisé, assisté où le travail disparaît pour une grande partie de l'humanité. Aujourd'hui, les tâches sont subdivisées, les industries ont besoin de moins en moins de personnel. Il se pourrait que la moitié de la population mondiale soit mise au chômage par robotisation. Mais est-ce un avenir heureux ? Le travail n'est pas seulement la création de richesse, il mobilise le raisonnement et les aptitudes humaines, qu'il demande un effort physique ou intellectuel. Toute activité permet de développer les compétences d'un individu : l'habileté, l'attention, la force ou encore la réflexion. C'est bien par le travail que l'homme adapte son environnement à ses besoins, qu'il extrait de la nature, hostile et inhospitalière les denrées qu'il lui est permis de consommer. Le travail sert à fabriquer des outils, développer des techniques, pour « humaniser » nos vies. De cette façon, une vie sans travail n'est pas enrichissante, car elle prive les hommes de techniques, des connaissances, qui toutes ensemble sont nécessaires à l'humanisation de l'homme. En outre, la valeur du travail est trouvée dans sa modération. S'il est omniprésent et excessivement contraignant, il sera source de souffrance physique et morale et d'aliénation. Plus rare mais régulier, il ne lasse pas et apporte de la variété au quotidien. Tout est dans le compromis entre vie professionnelle et personnelle, entre ce qui est relatif au travail et ce qui ne l'est pas. L'écrivain du XVIIIe siècle Guillaume-Thomas Raynal affirme que « Le travail modéré fortifie, le travail excessif accable ». Il suffirait ainsi de trouver le juste milieu. Peut-être faudrait-il modifier la place du travail dans la société tout entière, et ne pas se limiter à la vie d'un homme. « Pour que le travail s'accomplisse avec intérêt, voire plaisir, il faut en supprimer le caractère obligatoire. » explique l'écrivain Boris Vian dans son essai Traité de civisme. Cette idée est donc en opposition avec l'idée du travail que se faisaient les régimes communistes : l'inactivité était très mal jugée en URSS. Ainsi, des avantages ne peuvent être tirés du travail que s'il existe une alliance entre effort et loisir.
En conclusion, le travail est sans conteste porteur de peine, d'aliénation et de souffrance morale. Malgré tout, il est possible d'en tirer du plaisir, à condition de se passionner pour lui et trouver de la valeur dans son côté sociabilisant et fécond en défis. Dans tous les cas, un monde sans travail, bien que rêvé, reste impensable : il suffit pour en tirer du plaisir de modérer ses efforts. 




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