Commentaire sur "Vénus anadyomène" de Rimbaud

 Vénus anadyomène est un sonnet d’Arthur Rimbaud, extrait des Cahiers de Douai, publié en 1870. C’est à travers une œuvre atypique que l’auteur réalise la description du tableau iconique de Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus (1483). Pour contextualiser brièvement cette dernière représentation d'Aphrodite, rappelons qu'il s'agit de la déesse de la beauté et de l'amour, qui, d'après la Théogonie d'Hésiode, naît de l'écume des flots suite à l’émasculation d'Ouranos par son fils Cronos. Ici, Rimbaud propose une vision très personnelle du motif mythologique de la Vénus. Nous nous demanderons comment et dans quel but ce poème fut composé, en étudiant d’abord sa similitude avec La Naissance de Vénus, puis ses différences, et enfin la visée de l’œuvre.

 

Dans un premier temps, intéressons nous à ce qui unit le tableau de Botticelli et Vénus anadyomène.

Tout d’abord, Rimbaud accomplit une description de la Vénus en mentionnant différentes parties de son corps : les « cheveux », « le col », le « dos », etc. Elle est examinée de haut en bas, et l'accent est porté sur son corps nu (comme dans un blason), qui l'est également sur le tableau. L'analyse de la Vénus est en mouvement : elle « émerge » d'abord, puis montre ses omoplates « qui saillent », son dos « qui rentre et qui ressort », son corps tout entier qui « remue » et se « tend ». Le tableau est également en mouvement : Zéphyr et Chloris se précipitent vers Vénus qui cache sa nudité avec ses cheveux qui eux-mêmes volent au vent. Il s'agit d'une description cinétique.

 

Ensuite, Rimbaud utilise une forme classique, le sonnet : son poème enchaîne deux quatrains et deux tercets. Les tercets, suivent l’usage le plus académique du sonnet : ccd ede. Le tableau de Botticelli est aussi une œuvre classique puisque son mouvement est celui de la Renaissance. Le poète tient également compte de l'importance artistique que représente La Naissance de Vénus dans la peinture, et appelle la déesse « Clara Venus ».

 

Dans un second temps, montrons en quoi les deux œuvres sont différentes.

En effet, le sonnet de Rimbaud est fondé sur un lexique extrêmement péjoratif. Celui de la laideur tapageuse : Vénus a « des déficits assez mal ravaudés », son col est « gras », ses omoplates sont « larges », sont dos est « court » et sa peau cache très mal sa « graisse » disgracieuse. La déesse est « horrible étrangement » et « belle hideusement », ces deux oxymores forment un parallélisme intensifiant sa laideur. Vénus anadyomène a l'air d'un contre-blason. Représentant l'idéal de beauté féminine chez Botticelli, Vénus est animalisée par Rimbaud. Celui-ci décrit « sa large croupe » et « son échine » comme s'il la voyait de dos.

 

De plus, le contexte est également modifié dans le poème. Vénus est dans un « cercueil vert en fer blanc » ou dans une « vieille baignoire », le tout évoque une conque oxydée et de mauvaise qualité, alors que selon Botticelli, la déesse surgit de la mer dans une coquille Saint Jaques géante. L'auteur couronne le tout du champ lexical de la vieillesse et de la maladie : son col est « gris », et elle porte un « ulcère à l'anus ». La vieillesse et la mort remplacent le printemps et la jeunesse du tableau. Vénus anadyomène est donc un poème iconoclaste.

 

Pour finir, tâchons de comprendre la visée de l'auteur dans cette œuvre.

En effet, il semblerait que le poète soit en désaccord avec la perfection imaginée par Botticelli. Les cheveux blonds vénitien de Vénus, tels que les a représenté le peintre, évoquent des « cheveux bruns fortement pommadés », autrement dit ternes et gras à Rimbaud. Belle et sensuelle sur le tableau, elle lui paraît « lente et bête ». Il trouve ses formes inspirées par le canon esthétique du XVeme siècle « (grasses) », ses « rondeurs » trop mises en valeur (elles prennent « l'essor »). Rimbaud ne partagerait donc pas la vision de l'idéal féminin de Botticelli.

 

Enfin, le lecteur perçoit une note d'humour dans ce poème. Les indications de la lourdeur de ce corps féminin sont nombreuses : « col gras et gris », l’allitération en « gr » renforce l’idée de grosseur, et tire vers le burlesque. La « rondeurs des reins » avec cette fois une allitération en « r » produit le même effet. Le vers 8 évoque avec une précision clinique l’effet disgracieux de la cellulite : « la graisse sous la peau paraît en feuilles plates », ce qui rend l'analyse de Rimbaud comique. Aussi, l'image de Vénus s’extirpant de sa vieille baignoire est très caricaturale. On peut donc considérer que Vénus anadyomène est une parodie de la Naissance de Vénus, et de toutes les œuvres célébrant la beauté de la déesse.

 

En conclusion, disons que Rimbaud, reprend des éléments du tableau de Botticelli, pour mieux les détourner et dégrader l'image traditionnelle de Vénus. Dans une parodie iconoclaste, il nous propose de rire d'une telle vision de la beauté. 




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