Le théâtre peut-il être lu dans un fauteuil ?

Introduction

 

Molière affirme : «le théâtre n'est fait que pour être vu. ». Pourtant, Musset semble être en désaccord. Sa première pièce de théâtre, la Nuit Vénitienne, ne correspondant pas aux attentes du public et s’éloignant des codes dramaturgiques de son temps, connaît un échec. Musset décide dès lors de ne plus écrire pour la représentation théâtrale, mais pour le Spectacle dans un fauteuil, recueil de pièces destinées à être lues et non jouées, ce qui lui donne une grande liberté d’écriture. Frustré par son insuccès, le dramaturge s'adresse à son lecteur de cette façon : « Figure-toi, Lecteur, que ton mauvais génie / T'a fait prendre ce soir un billet d'Opéra. » On peut donc se demander si une pièce de théâtre peut-être lue dans un fauteuil. Nous verrons dans un premier temps qu'une pièce de théâtre peut effectivement être lue, puis nous montrerons ce qu'apporte la mise en scène à un texte théâtral.

 

I) Une pièce de théâtre peut être lue dans un fauteuil

 

a) La pièce de théâtre contient l'intrigue de l'histoire qui est autosuffisante. Elle offre la possibilité de revenir en arrière, d'apprécier la langue.

 

Ex : Dans Roméo et Juliette de Shakespeare les nombreuses péripéties qui créent le suspens captivent le lecteur qui souhaite découvrir le dénouement de l'intrigue amoureuse.

Ex : Les pièces de théâtre de Molière (comme les Fourberies de Scapin ou Tartuffe) sont écrites en vers réguliers (alexandrins) ce qui offre une lecture fluide et agréable.

b) Certains auteurs refusent par avance toute représentation

Ex : Musset préfère ne pas faire jouer ses pièces avec son recueil Spectacle dans un fauteuil.

 

Ex : Cromwell est une grande fresque historique de Victor Hugo qui a la particularité d’être injouable en raison de sa démesure. C’est une pièce excessivement longue, composée de 74 scènes et représentant en tout 6920 vers.

 

c) L'imagination du lecteur = liberté

 

Ex : Le théâtre symboliste prône la "déthéâtralisation", c’est-à-dire l’abandon de tous les artifices techniques, auxquelles doit se substituer une spiritualité émanant du texte et de l’interprétation. Les pièces, dont le rythme est lent, onirique ou poétique sont chargées de symboles et de signes évocateurs. Il est donc intéressant de les lire « dans un fauteuil » pour prendre le temps de réfléchir au sens et de se forger sa propre interprétation.

 

Ex : Les Caprices de Marianne est une pièce avec aucune allusion au physique des personnages (comme la majorité des pièces de théâtre). Le lecteur doit imaginer un portrait des protagonistes seul et donc solliciter son imagination.

 

Ainsi, un lecteur a la possibilité de lire une pièce de théâtre tout en s'imaginant la scène. Cependant, il peut se dispenser de cet effort d'imagination et s'imprégner de la mise en scène que lui proposeront des acteurs.

 

II) Une pièce de théâtre est faite pour être jouée

 

a) A l'origine, le théâtre est fait pour être joué

 

Ex : le mot en grec ancien θ?ατρον, désignait également la scène ou le plateau, c'est-à-dire toute la partie cachée du public par le rideau.

 

Ex : la  commedia dell'arte ne se tenait pas à un écrit mais jouait une improvisation, ce qui montre une certaine superfluité du texte.

 

b) Malgré les didascalies qui destinent déjà la pièce à être joué, la représentation scénique donne des informations complémentaires qui nous guident.

 

Ex : D'après Anne Ubersfeld, la pièce de théâtre « reste résolument muet(te) ». « Comment ces personnages arrivent-ils ? En courant, au pas ? Lequel va devant ? (…) Ce sera le travail du metteur en scène de donner des réponses. » La professeure d'université attribue donc au réalisateur un véritable rôle de guide.

 

Ex : Dans la mise en scène de Gilles Bouillon de la Cerisaie (Anton Tchekhov) des jeux de déplacement dont on ne se doute pas en lisant la pièce apportent de la dynamique à la scène. Ce sont des éléments que l'on ne retrouve pas dans le texte.

 

c) La représentation scénique peut choquer, nous faire comprendre différemment

 

Ex : Dans la mise en scène de l'acte II scène 1 que nous propose Lambert Wilson, le jeu des gestes nous éclaire sur le sens. Le voile de Marianne qui tombe est un symbole auquel on ne pense pas forcément en tant que lecteur et l'actualisation nous fait redécouvrir le texte.

 

Ex : Les trois mises en scène de l'Ecole des femmes acte III scène 2 (celle de Didier Bezace, d'Eric Vigner et de Robert Manuel) nous offrent différentes visions de ce passage. Chaque élève à pu trouver l'interprétation qui lui plaisait le plus, et celle à laquelle il ne s'attendait pas.

 

Pour conclure, le lecteur peut apprécier une pièce de théâtre en la lisant « dans un fauteuil », mais il peut également faire le choix d'assister à sa représentation scénique. Ce sont des parcours de l’œuvre différents, mais si l'on voulait démontrer le caractère secondaire du texte, on ajouterait qu'il existe de nombreux autres moyens de savourer une pièce de théâtre tout en privilégiant une approche scénique : l'opéra et la comédie musicale qui révèlent la musicalité de la pièce ou encore le ballet, et la danse en général qui favorisent la gestuelle et le langage du corps. Antonin Artaud explique dans sa série d'essais Le théâtre et son double que le dialogue « appartient au livre » et que la scène est un « lieu physique et concret qui demande qu'on la remplisse », affirmant ainsi que le « langage physique » devrait être privilégié dans le théâtre. 




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